Salon de Turin Avril 1953. La voiture qui trône au milieu du stand Bertone interpelle les visiteurs. Il s’agit de l’Alfa Roméo BAT 5. Ses lignes exubérantes et son nom peuvent faire penser à une évocation de la Batmobile tout droit sortie de Gotham. Pourtant il n’en est rien ! Ses lignes sont le résultat d’une recherche aérodynamique poussée. Son nom est l’acronyme de Berlinetta Aerodinamica Tecnica. Mais ce que l’on ne sait pas encore, c’est que la BAT 5 est le premier élément d’un triptyque exceptionnel qui va durablement marqué le design automobile du 20 ème siècle et considéré aujourd’hui comme une véritable oeuvre d’art.
Bertone, Scaglione et l’Abarth 1500 Coupé Biposto
Au début des années 50, Bertone est un acteur incontournable de l’industrie automobile italienne. En plus de sa traditionnelle activité de carrossier, la firme de Turin cherche à s’imposer durablement comme l’entreprise de design automobile incontournable. Et Bertone a dans sa manche un atout majeur en la personne de Franco Scaglione.

Ce grand designer va influencer le design automobile du 20 ème siècle. La force du talent de Scaglione est parfaitement résumé par sa fille Giovanna qui a déclaré quelques années après la mort de son père : « L’aérodynamique était sa muse, mais il l’associait toujours à l’élégance. Il conciliait sa formation technique d’ingénieur aéronautique avec un goût inné pour la beauté. C’était un designer à part entière ».

Un an avant la présentation de la BAT 5, Bertone et Scaglione présentent au salon de Turin 1952 l’Abarth 1500 Coupé Biposto. Ce modèle présente déjà des éléments de style distinctifs majeurs qui seront repris pour l’Alfa Roméo BAT 5. D’abord la face avant en deux parties inspirée de l’aéronautique. La lunette arrière qui se prolonge vers l’arrière. Enfin les ailes qui se terminent en forme d’aileron.
Alfa Roméo BAT 5, première étude
Le cahier des charges de l’Alfa Roméo BAT 5 était de proposer un véhicule expérimental tourné vers le futur. Dès les années 50, l’aérodynamique est devenu un sujet central. La BAT 5 a donc été conçue pour mesurer concrètement les implications qu’auraient une aérodynamique poussée à l’extrême sur un véhicule avec un coefficient de pénétration dans l’air le plus bas possible.

Une présence et un style saisissants
Visuellement le résultat est spectaculaire. Un livre entier pourrait être écrit pour commenter tous les détails remarquables de la BAT 5 ! Retenons ici les éléments essentiels. D’abord la face avant en 2 parties qui fait penser à un nez d’avion et directement inspiré de l’Abarth 1500 Coupé Biposto. Cette forme ne doit rien au hasard. Elle vise à à annuler les turbulences aérodynamiques à haute vitesse.
De profil c’est bien sûr les roues entièrement recouvertes par des panneaux de carrosserie qui attirent le regard. Ce dispositif permet de réduire considérablement la résistance à l’air générée par les roues. Notons au passage les surfaces vitrées très réduites et inclinées à 45° pour optimiser le passage de l’air.
Enfin vers l’arrière, cette immense lunette vitrée en 2 parties dont s’inspirera la Chevrolet Corvette Sting Ray de 1963. Et puis bien sûr en point d’orgue les ailes arrières marqueur majeur du style de la BAT 5. Celles-ci se prolongent par 2 ailerons légèrement effilés et tournés vers l’intérieur. Il s’agit là encore de réduire la trainée aérodynamique et de contribuer à la stabilité à haute vitesse.
Des performances remarquables
Il n’y a pas que sur le plan du style que l’Alfa Roméo BAT est spectaculaire. En effet les données chiffrées sont éloquentes. Rappelons au passage que l’Alfa Roméo BAT 5 repose sur une base tout à fait classique. Il s’agit de l’Alfa Roméo 1900 SS avec châssis en acier et équipé d’un 4 cylindres développant environ 100 chevaux. Pourtant grâce à son aérodynamique poussée et son poids réduit (1100 kilos), l’Alfa Roméo BAT 5 atteint sans forcer les 200 km/h et en toute sécurité grâce à une stabilité jugé remarquable.
Mais le chiffre à retenir c’est surtout 0,23. Il s’agit du Cx mesuré autrement dit le coefficient de pénétration dans l’air. Ce chiffre est historiquement bas ! Pour s’en rendre compte il suffit de préciser que dans la production automobile actuelle les meilleurs coefficients se situent autour de 0,20 comme par exemple pour la Mercedes EQS. Précision importante, ce chiffre de 0,23 a été obtenu avec les moyens de l’époque. Ni soufflerie, ni moyens informatiques. Il s’agissait de simple fils de laine fixés sur la carrosserie. Le véhicule était ensuite photographié à haute vitesse pour repérer les “mauvaises” turbulences. A méditer…
Alfa Roméo BAT 7, encore plus extrême
Suite à l’accueil enthousiaste de la BAT 5, l’Alfa Roméo BAT 7 est rapidement mise en chantier pour être présentée au salon de Turin 1954. L’objectif de Scaglione et de Bertone est d’aller encore plus loin dans l’optimisation aérodynamique. Le prototype est toujours conçu sur la base de l’Alfa Roméo 1900.

Ce qui frappe d’emblée lorsque l’on observe la BAT 7 ce sont les ailes arrières plus proéminentes et plus incurvées que sur l’Alfa Roméo BAT 5. La vitre arrière est désormais divisée en 2 par un appendice central rappelant un aileron de requin. Vu de l’arrière, l’ensemble est pour le moins spectaculaire ! Par ailleurs, la face avant a été retravaillée avec un capot abaissé. La conséquence est une calandre plus étroite qui pourtant au passage inclue désormais des optiques. Ce n’était pas le cas sur la BAT 5.
Le résultat de ces modifications est un coefficient de pénétration dans l’air encore plus bas avec un Cx de 0,19 ! Avec sa ligne encore plus spectaculaire, l’accueil de l’Alfa Roméo BAT 7 est encore plus enthousiaste. Le mythe est en marche !
Alfa Roméo BAT 9, la tentation de la production ?
Pour ce troisième opus, la mission de Scaglione est de rendre la BAT à la fois mieux identifiable à une Alfa Roméo et plus pratique pour un usage routier. Il n’est pas interdit de penser que vu l’accueil enthousiasme des prototypes, certains chez Alfa Roméo ont pu imaginer une mise en production d’un modèle directement dérivé des prototypes BAT. Ce ne sera malheureusement pas le cas. C’est à nouveau au salon de Turin, en 1955, que l’alfa Roméo BAT 9 fait sa première apparition.

Pour identifier plus clairement la BAT 9 à une Alfa Roméo, la face avant est maintenant dotée de l’emblématique calandre triangulaire orné du Biscione. Celle-ci est insérée entre 2 prises d’air horizontale. Les optiques de phares sont maintenant positionnées “au bon endroit”, en bout des ailes. Par ailleurs, si les ailerons arrières sont toujours présents, ils ont été réduits pour gagner en visibilité.
De profil, on remarque que le carénage ainsi que les grandes prises d’air ont disparu. La ligne de caisse de l’Alfa Roméo BAT apparaît plus fluide, là encore plus conforme aux standards d’un véhicule de série.
Le destin de la trilogie
Chacune des 3 BAT connut ensuite sa propre destinée Seul point commun dans un premier temps, leur départ pour les Etats Unis. Elles passèrent entre les mains de plusieurs propriétaires successifs, servant les plus souvent de show car. Ce qu’il est surtout intéressant de retenir ici, c’est que les 3 prototypes ont traversé les décennies sans trop de dommage hormis la BAT 7 qui perdit un temps ces ailes arrières si emblématiques. Heureusement, une restauration corrigera cette hérésie.
Malgré leur présence sur le même continent, il est incroyable de noter que durant tout ce temps, les 3 Alfa Roméo BAT n’ont jusque là jamais été réunies. Mais le temps passant, les amateurs de belles carrosseries et d’Alfa Roméo rêvent de les rassembler enfin.

L’année 1989 va donner un coup de pouce au destin. Ainsi, il est prévu que Nuncio Bertone se rende aux Etats Unis au Center College of Design de Californie pour recevoir un diplôme honorifique. Sa présence est également annoncée au éoncours d’élegance de Pebble Beach. Les organisateurs saisissent alors cette opportunité pour inviter les 3 propriétaires des BAT. Les 3 merveilles sont enfin réunies !
C’est alors qu’un (très riche !) collectionneur conscient de la portée incroyable qu’offre la réunion des 3 prototypes fait une offre à chacun des 3 propriétaires. Une offre que visiblement aucun des 3 ne put refuser. Il les conservera pendant 30 ans. En 2020, la maison de vente aux enchères Sotheby’s crée la sensation en proposant à la vente les 3 voitures en un seul lot. la trilogie sera vendue pour un peu plus de 12 millions d’euro.
